Website Ribbon Sommes-nous libres ?: 2009

Billet doux



Une jeune femme aux cheveux noirs qui travaille au Commissariat aux Romans parvient à glisser un bout de papier à Winston. Pensant que cette femme est un agent de la Police de la Pensée, Winston tarde à lire le billet. Est-ce une menace, une convocation, un ordre de suicide ?

D'une haute écriture informe, des mots sont tracés : "Je vous aime."

Winton, abasourdi, jette le papier dans le trou de mémoire. Durant le reste de la matinée, il lui est difficile de travailler.

Un air d'autrefois



"Oranges et citrons, disent les cloches de Saint-Clément.
Tu me dois trois farthings, disent les cloches de Saint-Martin.
Voici une bougie pour aller au lit.
Voici un couperet pour vous couper la tête."

Le magasin d'antiquités



Dans une rue étroite, Winston reconnaît le magasin d'antiquités où il a acheté son journal. Le propriétaire est un homme de soixante-trois ans. L'intérieur étroit du magasin est bourré de choses sans valeur : boulons, cadres, canifs, montres ternies, tabatières, bricoles. Winston est attiré par un objet rond et lisse qui brille doucement à la lumière de la lampe : un corail sous verre.

Winston l'achète pour quatre dollars. L'homme le fait monter à l'étage pour lui montrer une pièce qui ne donne pas sur la rue mais sur une cour pavée de galets et une forêt de cheminées. Ce fut la chambre de sa défunte femme.

Cette pièce va devenir l'oasis de quiétude emblématique de 1984. Pour Winston cette chambre représente un espace de solitude sans Télécran ! Il se décide à la louer pour quelques dollars par semaine.

Conciliabules au bistrot



Dans un bar, Winston entre en contact avec un vieillard. Pourtant la vieille génération fut en partie balayée au cours des grandes épurations de 1950 à 1970. Winston veut le questionner sur le passé. Ils prennent une bière ensemble malgré l'ignorance moqueuse du barman qui ne connaît pas le contenu d'une "pinte" réclamée par le vieil homme.

Winston veut surtout savoir si l'homme avait plus de liberté à son époque. Hélas le vieillard est gâteux et Winston se désintéresse de lui.

Solitude et loterie



Un membre du Parti ne doit jamais être seul sauf quand il est au lit. On tient pour acquis que lorsqu'il ne travaille pas, ne mange pas ou ne dort pas, il doit prendre part à une distraction collective et passer toutes ses soirées au Centre communautaire.

Avoir un penchant pour la solitude est dangereux. En novlangue ce goût est nommé égovie : individualisme et excentricité. Être seul signifie aussi avoir du temps pour réfléchir ! Occuper l'homme pour l'empêcher de penser sur lui-même !

Winston prend un énorme risque en oubliant de se rendre au Centre deux fois en trois semaines. Le parfum de l'air d'avril le tente et il se dirige, au hasard d'une déambulation, dans les quartiers sordides du Nord-Est. Il risque de croiser une Patrouille ou de se faire dénoncer à la Police de la Pensée. Il assiste à un bombardement.

A proximité les prolétaires parlent de la loterie., seul évènement public auquel ils portent une sérieuse attention. C'est un stimulant intellectuel. Ce qu'ils ne savent pas c'est que les gros prix sont fictifs ! Les petites sommes sont versées mais les gagnants des gros tirages n'existent pas.

L'inconscience du prolétariat est la survie du Parti



"S'il y a un espoir, il réside chez les prolétaires" inscrit Winston dans son journal.
La masse travailleuse est une force intérieure qui peut détruire le Parti mais ne possède aucun moyen de se rassembler et donc de se rebeller.

Prendre conscience de leur propre force est la solution ! Et pourtant !
Winston écrit : "Ils ne se révolteront que lorsqu'ils seront devenus conscients et ils ne pourront devenir conscients qu'après s'être révoltés." L'équation est insoluble !

On leur demande juste un patriotisme primitif, il n'est donc pas nécessaire de les endoctriner avec l'idéologie du Parti. Les prolétaires représentent un État dans l'État ; ils sont donc sous contrôle.

Prostitution et instincts pervers



Être pris avec une prostitué peut signifier cinq ans de travaux forcés mais, tacitement, le Parti encourage la prostitution pour laisser une soupape aux instincts qui ne peuvent être entièrement refoulés.
Le crime impardonnable est le contact sexuel entre membres du Parti. Le but inavoué, mais réel, est d'enlever tout plaisir à l'acte sexuel. L'érotisme est l'ennemi.

La ligue Anti-Sexe des Juniors plaide en faveur du célibat pour les deux sexes avec insémination artificielle pour la procréation. Ceci entre dans l'idéologie du Parti. L'instinct sexuel doit être tué, dénaturé, sali dans l'opinion populaire.

La philologie du novlangue



Des philologues sont experts en novlangue et donnent des ultimes modifications à la onzième édition. Le but est de détruire des centaines de mots, de tailler le langage jusqu'à l'os. Beaucoup trop de déchets dans les verbes et adjectifs. Également dans les synonymes, les antonymes et les noms. Pourquoi employer "mauvais" si "bon" existe ? Le novlangue utilisera "inbon" et "plusbon" au lieu de "splendide" et "double-plusbon" si le sens est encore plus fort que "bon".

En résumé, la notion complète du "bon" et du "mauvais" sera couverte par six mots, en réalité un seul mot central. Le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée et de rendre littéralement impossible le crime par la pensée car il n'y aura plus de mots pour l'exprimer.

Le contrôle de l'information



Au Commissariat aux Archives, Winston reçoit des pneumatiques dont les contenus indiquent les coordonnées d'articles à rectifier. Offensives militaires, prévisions officielles erronées ou sous-évaluées, conflits, rationnement... Winston rectifie les chiffres primitifs pour les faire concorder avec les derniers parus. Un message est rédigé ainsi :

times 17-3-84 discours malreporté afrique rectifier
times 19-12-83 prévisions 3 ap 4e trimestre 83 erreurs typo vérifier numéro de ce jour.
times 14-12-84 miniplein chocolat malcoté rectifier
times 3-12-83 report ordrejour bb trèsmauvais ref unpersonnes récrire entier soumettrehaut ante-classement.

Les corrections phonoscriptées sont agrafées au numéro du Times correspondant et envoyées par tube pneumatique. Le numéro est réimprimé et l'original détruit. Ce processus est appliqué aux journaux, livres, périodiques, pamphlets, affiches, prospectus, films, enregistrements sonores, photographies. L'ouvrier n'a pas le sentiment de faire des falsifications mais plutôt des corrections nécessaires pour l'intérêt de l'exactitude. Des personnes disparaissent, vaporisées et effacées des statistiques. Vous n'avez jamais existé. Vous devenez un nonêtre.

Le culte de B-B ou l'uniformité de la pensée



Le regard de Big Brother est omniprésent dans le quotidien des Londoniens. Sur les pièces de monnaie, les timbres, les livres, les bannières, les murs, les affiches, le Télécran, les paquets de cigarettes...
"Vous ne possédiez rien en dehors des quelques centimètres cubes de votre crâne."

Le contrôle du Passé ou la double pensée



Officiellement l'Océania est alliée à l'Estasia et en guerre avec l'Eurasia en 1984. Mais quatre ans auparavant l'Océania était alliée à l'Eurasia selon les souvenirs de Winston. L'ennemi du moment représente toujours le mal absolu, donc aucune entente passée ou future n'est possible.

Le Parti peut dire : cela ne fut jamais.
C'est bien plus terrifiant que la torture. Où existe la connaissance des faits ? Uniquement dans les consciences ? Si une société accepte le mensonge, l'histoire devient vérité.

"Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur."

Le passé n'a pas à être modifié, la vérité actuelle est vraie d'un infini à un autre infini. C'est le contrôle de Réalité, la double pensée en novlangue. Connaître et ne pas connaître. Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le Parti est gardien de la démocratie. Appliquer le même processus au processus lui-même, encore et encore pour assouplir la pensée collective. C'est l'ultime subtilité. On peut détruire le passé si on ne peut rien prouver.

La fidélité passe par l'enfance



Les enfants adorent le Parti et tout ce qui s'y rapporte : chansons, processions, bannières, uniformes, randonnées en bandes, exercices militaires, le culte de Big Brother. Les adultes ont peur de leurs propres enfants dont la férocité est extériorisée contre les ennemis de l'État. Ils deviennent des mouchards impitoyables contre la non-orthodoxie et se délectent du sort des prisonniers de guerre pendus dans des parcs publics chaque mois.

Certains "enfants héros" font les honneurs du Times pour avoir espionné et dénoncé leurs parents à la Police de la Pensée. "Le crime de penser n'entraîne pas la mort. Le crime de penser est la mort."

Les deux minutes de la Haine



Symbolisées par Emmanuel Goldstein, l'Ennemi du Peuple, activiste contre-révolutionnaire. Comme le schéma des purges staliniennes, Goldstein est le traître fondamental, le profanateur de la pureté du Parti. C'est l'archétype du Juif : cheveux blancs, barbiche en forme de bouc, long nez mince et voix bêlante. Goldstein dénonce et insulte Big Brother avec en toile de fond les troupes eurasiennes.

Les spectateurs s'étranglent de rage, de crainte et de colère jusqu'à la délivrance finale. Le tumulte se transforme en adoration lorsque le visage apaisant et protecteur de Big Brother apparaît, accompagné d'un chant collectif : "B-B !... B-B !... B-B !..."

Par des instants de lucidité, Winston ne croit plus en cette mise en scène et remarque un homme dont le visage lui inspire une confiance réciproque, aux mêmes instincts subversifs : O'Brien. Winston commet son premier crime par la pensée en écrivant "A BAS BIG BROTHER".

L'acte d'écrire



Une alcôve peu profonde dans le salon permet à Winston de se substituer au champ de vision du Télécran. Il écrit son journal avec un porte-plume et un flacon d'encre. Le carnet fut acheté à la sauvette dans une boutique pour la somme de deux dollars cinquante. Il risque la mort ou les travaux forcés. Quelle force intérieure permet à un homme de défier son futur et sa vie ?

Tout récit doit être dicté au phonoscript pour des raisons évidentes de censure et de contrôle de l'information. L'acte d'écrire et de tracer des traits est déroutant pour Winston. La main est engourdie, les pleins hésitants... et plus terrible encore : cet acte implique une responsabilité propre ! Pour qui écrit-il ? Pour l'avenir ? Comment communiquer avec l'avenir sans l'acte d'écrire ?

Winston Smith



Dès le début je suis saisi par l'insignifiant personnage central : Winston Smith. Âgé de trente-neuf ans, cheveux blonds, stature frêle, visage sanguin, peau durcie par l'usage de mauvais savons, ulcère variqueux au-dessus de la cheville droite, cet homme travaille au Ministère de la Vérité.
En sortant de l'ascenseur, une affiche représentant un homme aux beaux traits, visage volontaire, grosses moustaches et regard paternel surmontant une légende :

BIG BROTHER VOUS REGARDE

Sa présence rassurante est l'extrême de Smith, misérable humain à l'existence sordide. Chez lui, une voix sucrée dicte les chiffres productifs du pays : c'est le Télécran, plaque de métal oblongue, miroir terne encastré dans le mur. C'est un émetteur-récepteur qui voit également selon un champ de vision bien déterminé.

A l'extérieur des patrouilles héliportées survolent le quartier. Je reviendrai ultérieurement sur les rôles de la Police de la Pensée, de l'ANGSOC et du Télécran.